De nouveaux traitements disruptifs pour une « hemophilia free mind »
Face aux désagréments des thérapies de substitution, la recherche progresse et propose de nouvelles voies, prometteuses, dans le traitement de l’hémophilie. La fonction Maladies rares des Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL) proposait aux médecins de s’y pencher lors d’un webinaire.

L’hémophilie est l’une des maladies hémorragiques les plus emblématiques. Caractérisée par un déficit congénital en facteur VIII (hémophilie A) ou en facteur IX (hémophilie B), deux protéines clés de la coagulation, la pathologie expose les patients à des saignements spontanés dans les muscles et les articulations, ce qui provoque chez eux des douleurs sévères et des arthropathies invalidantes. À travers l’histoire, elle a marqué plusieurs familles royales européennes, notamment celle de la reine Victoria et du tsar Nicolas II. Aujourd’hui encore, environ 400.000 personnes dans le monde vivent avec l’hémophilie, dont un millier en Belgique.
Depuis des décennies, la prise en charge repose sur le remplacement du facteur manquant. Ce traitement substitutif, d’abord issu du plasma, a dans le passé été associé à un drame, encore vif dans les mémoires : la contamination par le VIH et le virus de l’hépatite C de milliers de patients. « Le traitement classique de l’hémophilie, c’est un traitement dit de substitution : donner aux patients le facteur VIII ou IX dont ils manquent. Mais ce traitement est intraveineux, contraignant, à demi-vie courte et il peut induire des anticorps neutralisants » rappelle le Pr Cédric Hermans, chef de service d’hématologie des CUSL et pilier de la fonction Maladies rares de l’hôpital. Malgré l’apport de la biotechnologie, qui a permis la production de facteurs recombinants plus sûrs, les contraintes demeurent lourdes. On évoque notamment les injections fréquentes, une efficacité incomplète et un risque immunologique.
Une vie physiquement et mentalement normale
Mais depuis une quinzaine d’années, le paysage thérapeutique de l’hémophilie connait une petite révolution. L’ambition n’est plus seulement de réduire la fréquence des hémorragies, mais de normaliser la vie des patients. « Pour vivre normalement, il ne faut pas 2 ou 3 % de facteur VIII ou IX dans le sang, mais 20, 30, 40 %, voire une valeur normale. Si l’hémostase est normalisée, la vie le sera aussi, mentalement comme physiquement » insiste le spécialiste.
Parmi les innovations, les anticorps bispécifiques attirent l’attention. Ces molécules, administrées par voie sous-cutanée une fois par mois, miment l’action du facteur VIII en rapprochant les facteurs IX et X. « Ce traitement résout trois enjeux majeurs : il n’est pas intraveineux, il n’est pas immunogène et il peut être administré même chez les patients qui ont développé des anticorps contre le facteur VIII » résume le Pr Hermans. Déjà prescrit à plus de 30.000 patients dans le monde, cet anticorps est qualifié de game changer par la communauté scientifique.
D’autres approches visent à développer un traitement oral, en exploitant des nanobodies dérivés de la recherche belge. Ces fragments d’anticorps, couplés à des peptides qui favorisent leur absorption digestive, pourraient un jour permettre l’administration per os d’une thérapie hémophilique, une perspective jusqu’ici inimaginable.
Thérapie génique & Crispr-Cas9
En parallèle, la stratégie dite de « rebalancing » consiste à moduler les freins physiologiques de la coagulation (antithrombine, protéine C, TFPI). En réduisant ces inhibiteurs, la génération de thrombine est augmentée, ce qui compense le déficit en facteur VIII ou IX. Ces traitements, souvent administrés par voie sous-cutanée, élargissent le champ au-delà des hémophilies A et B sévères. Leur principal risque reste la thrombose, ce qui une certaine prudence dans le développement dudit traitement.
Enfin, la thérapie génique occupe une place à part. Basée sur des vecteurs viraux ciblant le foie, elle vise à introduire une copie fonctionnelle du gène déficient. Les résultats sont plus convaincants pour l’hémophilie B, le gène du facteur IX étant plus petit et mieux adapté aux vecteurs. « C’est comme aller sur la Lune : on peut y arriver, mais tout le monde n’ira pas. La variabilité est importante, la durabilité incertaine et les enfants ne sont pas encore concernés » nuance l’hématologue.
De nouvelles stratégies, comme l’édition génique par Crispr-Cas9 ou l’utilisation de lymphocytes B modifiés pour produire le facteur manquant, esquissent un futur où la correction définitive de l’hémophilie pourrait devenir réalité. Certaines approches reposent même sur l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques transfectées en laboratoire, avec des résultats préliminaires prometteurs.
Au-delà de l’efficacité biologique, l’impact des nouveaux traitements se mesure aussi en termes de qualité de vie. « Aujourd’hui, grâce à ces thérapies, on assiste à une véritable libération, physique et mentale. Les patients n’ont plus à organiser chaque journée autour de la crainte du saignement ou de l’injection. C’est ce que j’appelle le concept d’Hemophilia Free Mind » explique le Pr Hermans. Pour beaucoup de malades et de familles, c’est une transformation radicale.
L’hémophilie est le terrain d’une dynamique plus large en médecine des maladies rares : passer du simple contrôle des symptômes à la quête d’une vie normale. Les innovations disruptives évoquées par le Pr Cédric Hermans présentent encore quelques défis, mais elles ouvrent des horizons que l’on n’osait imaginer il y a encore vingt ans. « Aucun traitement n’est parfait, chacun a ses forces et ses limites, mais jamais nous n’avons disposé d’un tel arsenal. L’enjeu est maintenant de rendre ces solutions accessibles au plus grand nombre » conclut l’hématologue.