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La participation sociale, aussi une affaire de santé

Le caractère délétère de la solitude et de l'isolement social sur la santé a été bien démontré. De quoi inciter à une resocialisation des patients esseulés.

Solitude santé resocialisationD'après un rapport de juin 2025 émanant de la Commission de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la solitude toucherait une personne sur six dans le monde. En résulteraient des répercussions considérables sur la santé et le bien-être des individus, à telle enseigne qu'elle serait responsable d'environ 871.000 décès par an. Constat objectif du fait d'être physiquement à l'écart des contacts sociaux, l'isolement social a fait l'objet de moins d'études mais, selon l'OMS, près d'une personne âgée sur trois et d'un adolescent sur quatre en souffriraient.

 Les psychologues John et Stéphanie Cacioppo, de l'Université de Chicago, se sont intéressés, principalement entre 2000 et 2010, aux effets de la solitude sur la santé physique et mentale. Non seulement ils ont montré que l'activité cérébrale d'une personne qui se sent seule est similaire à celle que provoque une douleur physique, mais leurs travaux ont également fait apparaître que la solitude est associée à un accroissement du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète, de troubles immunitaires et d'inflammation, mais aussi de dépression, d'anxiété et de déclin cognitif.

Une méta-analyse conduite par Julianne Holt-Lunstad, de l'Université Brigham Young à Povo, aux États-Unis, et publiée en 2017, aboutit à des conclusions analogues, tout en soulignant que la solitude et l'isolement social engendrent des conséquences aussi délétères pour la santé que le tabagisme, l'obésité ou l'inactivité et sont associés à un risque de mortalité majoré. « La réduction de l'espérance de vie peut aller jusqu'à 26 % », rapporte Jessica Morton, docteure à l'Institut de recherche en sciences psychologiques à l'UCLouvain.

Responsabilité sociale

 Selon la psychologue, notre « société biomédicale » fait reposer la responsabilité de la santé essentiellement sur l'individu - vous ne pouvez pas fumer, vous devez faire de l'exercice physique... À ses yeux, cette responsabilité est surtout collective. Et elle élargit le spectre en déclarant que dans une société individualiste comme la nôtre, une idée majeure est que chacun doit se « faire lui-même », se construire un ego, une destinée et montrer qu'il se situe au-dessus de la moyenne. Dès lors, l'autre devient un inconfort. « Or », indique-t-elle, « une personne ne peut savoir qui elle est et évoluer qu'à partir du moment où elle s'expérimente au contact d'autrui. » Le chemin qu'on nous impose en brandissant l'étendard de la méritocratie, notamment, aboutit selon Jessica Morton à l'émergence d'un sentiment de solitude et de perte de sens que toutes les études observent.

En 2013, des chercheurs de l'Université de l'Ouest de l'Angleterre, à Bristol, publièrent une étude longitudinale centrée sur un échantillon de personnes esseulées. Ils y examinèrent l'effet de la prescription sociale, entendue comme l'invitation à participer à des activités au sein d'un groupe, sur la consommation de soins de santé. Que constatèrent-ils ? Qu'en raison de leur intégration, 60% des membres de l'échantillon la réduisirent, 26% ne la modifièrent pas et 14% l'augmentèrent.

De nos jours, quelque 50% des patients qui sollicitent leur médecin généraliste le font en raison d'angoisses ou de l'anxiété inhérentes à la solitude.

Néanmoins, dans le groupe (majoritaire) où une diminution fut observée, la consommation de soins de santé demeurait supérieure à celle de la moyenne de la population générale. « Probablement deux motifs peuvent-ils rendre compte de cette situation », dit Jessica Morton. « D'une part, la prise de médicaments et les consultations régulières chez des praticiens constituent une nécessité médicale absolue pour certains patients - en cas de cancer, par exemple. D'autre part, le patient peut ne pas oser quitter une médication, même devenue inutile, de peur d'un effet en retour. » Par ailleurs, comment expliquer une hausse de la consommation de soins chez 14% de l'échantillon ? Sans doute faut-il incriminer un échec de la tentative de socialisation, dont la conséquence serait un effet délétère sur l'image de soi et un renforcement du sentiment de solitude.

 La voie psychologique

Dans les années 1990, Lisa Berkman, de l'Université Harvard, a proposé un modèle dit du « soutien social » ou des « déterminants sociaux de la santé ». Elle y distingue trois niveaux. D'abord, un niveau « macro » qui se réfère à la société dans laquelle on vit, à des entités telles que l'Europe, la Belgique, etc. Ensuite, un niveau « méso » qui a trait à des groupes sociaux structurés, tels une école, une usine, un club de football... Enfin, un niveau « micro » où ces groupes font savoir quels sont les comportements attendus ou interdits en leur sein, proposent de l'aide à leurs membres, les invitent à s'engager sur les valeurs partagées, donc à s'investir dans une participation active fondée sur une forme de réciprocité.

C'est à cet échelon « micro » que le groupe va influencer la santé, et ce, par trois voies : comportementale, psychologique et physiologique. Dans sa récente thèse de doctorat, Jessica Morton montre que la voie psychologique est la principale et que la notion d'identité sociale est capitale. « Ce n'est que si je l'active, que si j'affirme mon appartenance groupale que je pourrai pleinement profiter de mon affiliation au groupe », souligne-t-elle. En cherchant à se développer dans un groupe d'appartenance, l'individu donne du sens à sa vie et perçoit le soutien social dont il bénéficie. Dans ces conditions, le sentiment de solitude s'édulcore et passe à l'arrière-plan. « Par contre, si l'identité sociale en lien avec le groupe n'est pas activée, ce sentiment prévaut et le sujet est habité par l'idée que sa vie n'a pas de sens et que personne ne peut l'aider », précise la chercheuse de l'UCLouvain. Et d'ajouter : « La voie psychologique impacte dans un second temps les voies physiologiques et comportementales. On observe alors des taux de cortisol plus élevés, par exemple, avec des répercussions notamment sur le système cardiovasculaire et l'immunité. De même, les comportements de santé sont affectés. On se dira par exemple : "Pourquoi arrêter de fumer si je ne sers à rien ?" »

Des chercheurs de l'Université de Cambridge et de l'Université Fudan, en Chine, ont mené une recherche portant sur 42 000 volontaires âgés de 40 à 69 ans dont ils ont analysé le protéome dans le but de mieux comprendre par quel mécanisme la solitude et l'isolement social retentissent sur la santé. En effet, la biologie sous-jacente reste mal connue. Publié le 3 janvier 2025, l'article de l'équipe anglo-chinoise fait état de l'identification de 175 protéines présentant une association significative avec l'isolement social et 26, avec la solitude - 22 d'entre elles étaient communes aux deux conditions. Au-delà des associations, les chercheurs semblent avoir identifié cinq protéines dont l'abondance serait causée par la solitude. « Les protéines que nous avons identifiées nous donnent des indices sur la biologie qui sous-tend une mauvaise santé chez les personnes socialement isolées ou seules », a déclaré le professeur Jianfeng Feng de l'Université Fudan.

 L'impact de la resocialisation

L'objectif poursuivi par Jessica Morton dans sa thèse de doctorat était de comprendre comment fonctionne la relation entre la participation sociale et la santé afin de déterminer à quels critères doivent répondre les interventions cliniques empruntant le chemin de la resocialisation des patients esseulés. En collaboration avec les Mutualités chrétiennes, la psychologue constitua un échantillon de 4 988 personnes âgées de 18 à 92 ans représentatives de la population belge majeure. Comme indicateur de leur état de santé, elle s'appuya essentiellement sur l'indice de santé perçue, qui mesure la perception qu'a une personne de sa propre santé. En outre, avec l'accord des participants, elle put accéder à leur consommation de soins - nombre de contacts avec le médecin généraliste, prise de médicaments.

 Il ressort des travaux de Jessica Morton que le simple fait de rejoindre un groupe social en dehors de la famille et du travail [1] a des retombées positives sur la santé. Mais leur ampleur est variable selon l'implication du sujet dans le groupe dont il est devenu membre. Selon les données recueillies par Jessica Morton, les répondants isolés consommaient en moyenne 985,19 doses de médicaments en un an, alors que les répondants intégrés dans un groupe, mais sans implication active, n'en consommaient en moyenne que 824,70. Quant aux répondants intégrés et actifs (exemple : je joue dans un club de foot où je contribue en plus à la planification des entraînements), ils n'en consommaient que 771,46 en moyenne.

De nos jours, quelque 50% des patients qui sollicitent leur médecin généraliste le font en raison d'angoisses ou de l'anxiété inhérentes à la solitude. Et dans une étude en cours, Jessica Morton et ses collègues de l'UCLouvain ont mis en évidence qu'il est fréquent que 50 à 75% du temps d'une consultation chez un médecin de famille soit uniquement consacré à la question de la solitude. Pour la personne seule, le généraliste devient souvent un point d'ancrage et une figure d'attachement. Tantôt il prescrira des médicaments, tantôt il invitera la personne en souffrance à s'adonner à une activité sociale. « Pour les patients esseulés, le médecin généraliste est et doit rester une figure de confiance mais le travail de la resocialisation ne doit pas faire partie de ses missions », insiste Jessica Morton.

Il convient d'être très prudent dans un processus de resocialisation, car s'il échoue, la situation du patient se détériore davantage. La chercheuse conclut en illustrant le propos : « Admettons que l'on dise simplement à un patient : "Allez faire du volontariat, ça vous fera du bien." S'il n'arrive pas à s'intégrer dans l'association qu'il a choisie, il reviendra chez le thérapeute, tête basse, persuadé qu'il n'est vraiment bon à rien. D'où la nécessité qu'un psychologue, qui dispose des outils pour le faire, soutienne la resocialisation, aide le patient à choisir adéquatement une activité et à contourner les obstacles qu'il devra franchir successivement. Tout cela dans le cadre d'une collaboration avec le médecin, qui demeure l'intervenant de première ligne essentiel. »

1. La famille et l'univers professionnel n'ont pas été pris en compte pour des raisons méthodologiques. D'une part, on ne choisit pas sa famille. D'autre part, des enjeux financiers et des obligations sont indissociables du monde du travail.

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Geschreven door Phillipe Lambert28 augustus 2025
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