Le journal du médecin

Tombé de la trousse

Données personnelles, un concept obsolète ?

Dr Carl Vanwelde chronique
Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste

Une révolution sans bruit, mais pas sans conséquences. La récente évolution de la loi concernant l’accès au dossier médical, confirmée il y a peu par la Cour constitutionnelle, n’a suscité que peu de réactions dans le corps médical, malgré la transformation profonde de la relation médicale qu’elle annonce.

Passant d'un modèle historiquement paternaliste, où le médecin agissait seul dans l'intérêt perçu du patient, la nouvelle législation privilégie une approche centrée sur la transparence totale des données médicales visant à accroître l'autonomie et le partenariat.

Cette législation introduit une distinction cruciale qui a longtemps fait débat : si le patient pouvait accéder à son dossier, ce droit ne s'étendait pas aux « annotations personnelles » du médecin. Ces notes, perçues comme des hypothèses de travail, des impressions cliniques ou des réflexions privées, étaient considérées comme distinctes du dossier consultable par le patient. Cette exception permettait aux praticiens de disposer d'un espace de pensée non filtré, considéré comme essentiel pour leur processus de diagnostic et de prise de décision.

Cette configuration a récemment été remise en question par un nouveau cadre légal mettant fin à l’exception des notes personnelles. La loi du 6 février 2024 a en effet abrogé l'exception qui protégeait celles-ci, confirmée par la récente décision de la Cour constitutionnelle belge le 10 juillet 2025 qui a accordé aux patients un droit d'accès intégral à toutes les notes rédigées par les prestataires de soins, y compris celles considérées auparavant comme « personnelles ».

médecin dossier patient
© Getty

Cette décision met fin à la séparation entre le dossier médical formel et les réflexions privées du praticien, l’entièreté de toute annotation ou documentation relatives au patient étant ainsi considérée comme faisant partie intégrante du dossier consultable et modifiable par ce dernier s’il considère qu’elle contient des données inexactes. Sur le plan sémantique, on assiste de ce fait à un glissement de la définition de ce qui était personnel au médecin à des données considérées comme personnelles au patient, distinction importante s’il en est. Ce principe de transparence absolue succède à l’évolution progressive de l’accès au dossier médical, mis en ligne sur les réseaux santé des trois régions, par le patient mais également par les soignants possédant un lien thérapeutique avec lui.

Des garde-fous cosmétiques

On peut s’étonner que ce nouveau cadre juridique rigoureux se soit imposé aussi aisément compte tenu des enjeux éthiques qu’il soulève. Il suppose une documentation soignée de l’ensemble des éléments repris au dossier de consultation et un langage professionnel écartant les anecdotes, émotions, familiarités ou hypothèses inutilement alarmantes dont le patient pourrait prendre connaissance.

Le compte rendu d’un entretien contenant des éléments susceptibles d’être vexatoires (en présence d’un patient simulateur, alcoolique, affabulateur ou hypocondriaque pathologique par exemple), voire de comportements moralement répréhensibles, se verra inévitablement expurgé, prenant davantage la forme d’un rapport d’expertise ou juridique qu’un récit de vie comme ce fut le cas jusqu’ici. Les annotations personnelles du médecin étaient souvent le roman vécu de l’existence de son patient, rappelant parfois à celui-ci des événements vécus dans son passé et dont il ne se souvenait parfois plus lui-même.

La conjonction de ces textes législatifs place la Belgique à la pointe de la protection des droits des patients, en alignant les pratiques médicales sur les principes de la transparence totale et de la gestion responsable des données. Pour répondre aux inquiétudes exprimées par la profession, le législateur a prévu certaines limites à la consultation du dossier médical en cas de circonstances exceptionnelles. La nouvelle législation introduit ainsi l’« exception thérapeutique », disposition qui permet à un praticien de retenir temporairement la divulgation d'une information s'il estime que sa communication pourrait causer un « préjudice grave et manifeste à la santé du patient ».  Cette exception n'est pas un droit discrétionnaire pour le médecin. Elle est encadrée par des conditions strictes et un caractère temporaire. La décision doit être motivée par écrit dans le dossier du patient et nécessite la consultation préalable d'un autre praticien professionnel. L'accès à l'information est alors différé et peut être accordé de manière indirecte par l'intermédiaire d'un praticien désigné par le patient.

La pérennité de l'exception thérapeutique, après la suppression de la confidentialité des notes personnelles, reconnaît qu'il existe des situations rares où l'information, même véridique, peut être cliniquement dangereuse pour le patient. Le législateur privilégie ainsi le principe de bienfaisance (« ne pas nuire ») sur le droit absolu à l'information lorsque la santé du patient est en jeu, distinction marquée par le souci de ne pas heurter de front l’éthique médicale ancestrale mais dont on peut s’interroger sur la praticabilité. Comment imaginer qu’elle puisse être mise en place dans la réalité médicale quotidienne, assortie de contraintes telles la consultation préalable d'un autre praticien, et de surcroît pour une période à ce point limitée ?

Une autre limitation fondamentale a été coulée dans la loi : le droit de consultation ne s'étend pas aux informations concernant des tiers. Cette règle vise à protéger la vie privée des personnes qui ne sont pas le patient. Par exemple, une note concernant les antécédents médicaux d'un parent ou une observation sur le comportement d'un membre de la famille ne sera pas accessible au patient, car elle touche aux données d'un tiers.

Consulter, rectifier, compléter

La transparence accrue s'accompagne de droits supplémentaires pour le patient, qui peut exiger la rectification de données qu’il estime inexactes, incomplètes ou périmées. Ce droit s’applique aux erreurs objectives et factuelles, comme une faute d'orthographe dans un nom ou un groupe sanguin erroné, mais reste limité. Il ne permet pas au patient de demander la modification ou la suppression d'une opinion médicale, d'un diagnostic ou d'une évaluation professionnelle, car ces éléments relèvent du jugement du praticien et non d'une erreur factuelle. En cas de désaccord, le patient peut demander que sa contestation soit notée dans le dossier, mais l'entrée initiale du médecin ne peut être effacée. De plus, le patient a le droit d'ajouter des informations ou des documents à son dossier, tels qu'un article scientifique sur sa maladie ou le formulaire de désignation d'une personne de confiance.

Si tu ne veux pas que ça se sache, ne l'écris pas

Nul n’est censé ignorer la loi, et la pratique médicale s’en accommodera d’autant plus aisément que ce nouveau paradigme de transparence vise à instaurer une relation plus équilibrée entre le patient et le soignant, favorisant la confiance, le dialogue et le respect mutuel. La nouvelle donne légale impose néanmoins une profonde transformation des pratiques de rédaction des dossiers médicaux, les notes personnelles devant désormais être formulées dans un langage professionnel et non-jugeant, en partant du principe qu'elles seront lues par le patient. Les praticiens sont invités à documenter leurs hypothèses de manière claire, justifiant leur démarche clinique.

Situation néanmoins paradoxale : si l'intention est de renforcer la confiance, de nombreux professionnels de santé craignent que cela n'ait l'effet inverse. Comment éviter que la lecture de notes non filtrées évoquant par exemple des « troubles de la personnalité avec paranoïa » ne soit non seulement préjudiciable au patient, mais aussi qu'elle ne rompe le lien de confiance en créant de la méfiance, voire de l'agressivité.

La phrase interrogative du patient « si tu ne veux pas que ça se sache, ne le dis pas » est devenue une réalité pour les praticiens : « si tu ne veux pas que ça se sache, ne l'écris pas ».

La conséquence la plus significative et non anticipée de cette décision pourrait être l'autocensure professionnelle. Si un praticien craint qu'une note sensible, bien que cliniquement pertinente, puisse blesser le patient ou provoquer un conflit, il sera fortement incité à ne pas l'écrire ou à la consigner en dehors du dossier officiel, créant des dossiers fantômes, réalité totalement en contradiction avec le but initialement recherché. Le paradoxe est patent : l'outil conçu pour améliorer la transparence et la sécurité pourrait, par la réaction défensive des professionnels, devenir moins utile et moins fidèle à la réalité clinique.

Non précisée dans la loi, l’éventuelle rétroactivité de la mesure, donnant accès à des écrits datant de plusieurs années bien avant que l’accès au dossier ne soit institué, pose question et inquiétude dans la mesure où toute suppression ou modification est formellement interdite.

Un intéressant débat éthique

La transparence du dossier médical pose de bonnes questions dépassant la simple réticence face à une nouvelle règle en ouvrant la porte à une réflexion sur l’identité professionnelle où le secret et la réflexion privée, historiquement inhérents à la pratique, sont remis en question. Cette transformation va modeler la relation entre le médecin et son patient pour les années à venir, posant la question de savoir comment la médecine peut s'adapter aux évolutions sociétales tout en préservant son essence de discipline de soin et de confiance.

Wat heb je nodig

Krijg GRATIS toegang tot het artikel
of
Proef ons gratis!Word één maand gratis premium lid en ontdek alle unieke voordelen die wij u te bieden hebben.
  • checkdagelijkse newsletter met nieuws uit de medische sector
  • checkdigitale toegang tot Artsenkrant, De Apotheker en AK Hospitals
  • checkgevarieerd nieuwsaanbod met actualiteit, opinie, analyse, medisch nieuws & praktijk
  • checkdigitale toegang tot de gedrukte magazines
Heeft u al een abonnement? 
Geschreven door Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste12 september 2025
Print Magazine

Recente Editie
23 september 2025

Nu lezen

Ontdek de nieuwste editie van ons magazine, boordevol inspirerende artikelen, diepgaande inzichten en prachtige visuals. Laat je meenemen op een reis door de meest actuele onderwerpen en verhalen die je niet wilt missen.

In dit magazine