Les psychotropes en gériatrie : start ou stop ?
PSYCHOGÉRIATRIE - À la frontière entre la psychiatrie, la neurologie et la gériatrie, la psychogériatrie est une spécialité relativement jeune, mais qui se développe progressivement en Belgique. Elle s’attache à développer les aspects préventifs (environnement, support social, groupes de parole...), ainsi que les différents traitements d’accompagnement des patients concernés, et plus particulièrement la psychothérapie et les différentes approches médicales.
D’après Anne Myslinski (lire encadré), la volonté est de plus en plus marquée de travailler hors les murs pour augmenter l’accessibilité et faire réseau. Très large, le projet implique la collaboration de (très) nombreux intervenants, et en particulier des psychologues de première ligne et des psychiatres orientés vers les pathologies liées au vieillissement.
Les points abordés dans cet article complètent notre module JM Academy sur les troubles de l'humeur (paru dans le jdM du 10/06), plus spécifiquement la section consacrée à la dépression de la personne âgée.
Quelques règles basiques, mais incontournables
La prescription n’est évidemment qu’une des composantes des soins apportés à la personne vieillissante et qui présente des troubles du comportement liés à la démence. À titre d’exemple, les recommandations du CBIP [1] ne placent d’ailleurs les psychotropes qu’en cinquième position dans la hiérarchie, précédés par la réponse aux besoins fondamentaux et psychosociaux ainsi qu’aux problèmes physiques – y compris les analgésiques. De plus, « une revue de médication régulière est recommandée [chez les patients âgés] qui prennent plus de cinq médicaments de façon chronique, ainsi qu’en cas d’événements suggérant un usage inapproprié (chute, malaise...) », explique Anne Myslinski.
On se rappellera que les patients âgés sont particulièrement vulnérables aux médicaments, avec un degré variable d’altération des fonctions rénale et hépatique qui résulte en un temps de demi-vie accru pour de nombreux médicaments (en particulier les lipophiles). S’y ajoute le problème récurrent du manque de données précises dans cette population, qui est généralement exclue des études cliniques.
Quelques règles de prescription à respecter autant que possible, d’après Anne Myslinski :
- Limiter le nombre de molécules à un par classe thérapeutique ;
- La choisir autant que possible avec une demi-vie courte ;
- Ne prescrire que la dose minimale efficace (au besoin, en recourant à la préparation magistrale pour la diminuer) ;
- Choisir la galénique adaptée ;
- S’il faut augmenter la dose, le faire de manière progressive ;
- Penser d’emblée et repenser ensuite la durée du traitement (court, séquentiel ou chronique) ;
- Informer, pour favoriser l’adhésion thérapeutique ;
- Assurer une surveillance clinique et biologique.
Prescrire ou déprescrire un antidépresseur chez la personne âgée
« Les antidépresseurs sont très utiles lorsqu’ils sont bien indiqués », explique Anne Myslinski, « aussi bien dans le cadre de la dépression que de la prévention des chutes, des troubles du sommeil et de la douleur. En ce qui concerne la dépression, elle présente des particularités sémiologiques chez le sujet âgé. L’humeur dépressive est souvent absente, la verbalisation est pauvre et il présente souvent une forme d’hostilité, avec parfois pour seul symptôme l’exigence par exemple de disposer continuellement d’une bouteille d’eau pétillante dans sa chambre de maison de repos au point d’en fatiguer le personnel ».
La dépression se caractérise parfois par des signes pseudo-démentiels, dont des troubles de la concentration et un ralentissement psychomoteur, ou encore l’expression d’un souhait d’euthanasie. L’antidépresseur se prescrira généralement à mi-dose, en tenant compte d’un délai d’action s’élevant entre trois et six semaines avant de pouvoir juger l’efficacité. On commencera souvent par un inhibiteur de la recapture de la sérotonine (IRS) comme la sertraline ou l’escitalopram (plutôt stimulants, peu sédatifs) et, en cas de réponse insuffisante, on passera par exemple à la venlafaxine ou à la duloxétine (qui sont également efficaces dans les douleurs neuropathiques). Les tricycliques peuvent faire partie de l’arsenal thérapeutique, mais en tenant particulièrement compte de leur profil d’effets indésirables possibles dont la prise de poids, la sécheresse buccale, la constipation et la sédation.
« La prescription n’est qu’une des composantes des soins apportés à la personne vieillissante et qui présente des troubles du comportement liés à la démence. »
Classiquement, la durée du traitement s’élèvera à six mois pour un premier épisode dépressif, à un an pour un deuxième, voire en continu si jugé nécessaire par la suite. Outre les cas d’iatrogénicité, la déprescription de l’antidépresseur doit être envisagée en l’absence de résultat après six à huit semaines à dose adaptée, et en cas de polymédication avec un antidépresseur de la même classe. L’arrêt doit être progressif et programmé, en gardant à l’esprit la possibilité d’un syndrome (généralement) passager de discontinuation avec les antidépresseurs à courte demi-vie comme la paroxétine et la venlafaxine.
Antipsychotiques : se méfier du risque d’imprégnation
En dehors des cas de psychose aiguë ou chronique, les antipsychotiques peuvent s’indiquer dans les états d’agitation avec violence, ainsi qu’en traitement adjuvant dans l’anxiété ou la rumination. Ils doivent être prescrits à dose faible, avec une augmentation progressive, en gardant à l’esprit que leur efficacité complète réclame quelques semaines et qu’il existe un risque d’imprégnation/accumulation.
À noter que le risque d’effets secondaires extrapyramidaux est particulièrement faible avec la clozapine et la quétiapine, ce qui les rend plus indiqués dans la maladie de Parkinson ou la démence à corps de Lewy. « L’halopéridol et la rispéridone à faibles doses sont souvent utilisés dans la confusion », explique Anne Myslinski, « ainsi que l’olanzapine dans l’agitation anxieuse et l’aripiprazole dans l’apathie ».
La déprescription d’un antipsychotique s’impose en cas de toxicité cardiaque, hématologique ou neurologique, ainsi qu’en présence d’effets secondaires invalidants. Il est donc conseillé d’éviter les formes dépôt, sauf en cas de psychose avérée. Il convient également de rappeler le risque (rare) de syndrome malin des neuroleptiques, avec confusion, agitation, fièvre et rigidité musculaire qui imposent l’envoi à un service d’urgence.
Les thymorégulateurs
Les régulateurs de l’humeur comprennent le lithium, le valproate de sodium et la lamotrigine. Les deux premiers s’indiquent plutôt dans les cas de trouble bipolaire diagnostiqué tardivement, ainsi qu’en cas d’épisodes maniaques (lithium) ou d’épisodes mixtes (valproate). Quant à la lamotrigine, elle est plutôt choisie dans les cas de dépression récurrente.
Le traitement par lithium réclame des dosages réguliers, dès J+7, avec un dosage débutant à 100 mg le soir. La marge thérapeutique et non toxique est étroite (entre 0,4 et 0,7 mEq/l), mais de bons résultats peuvent déjà être obtenus avec un dosage léger (0,3 mEq/l). Le suivi biologique sera réalisé au moins une fois par mois au cours des six premiers mois, sans oublier une évaluation annuelle des fonctions rénale et thyroïdienne.
La dose initiale de valproate sera de 300 mg, avec un titrage rapide pour viser un dosage compris entre 65 et 90 µg/ml. Le taux de plaquettes et la fonction hépatique seront idéalement contrôlés chaque mois. Quant à la lamotrigine, sa dose initiale sera de 25 mg pour passer en six semaines à 200 mg, par précaution face au risque de réaction allergique. Les benzodiazépines seront prescrites à faible dose, idéalement avec une demi-vie courte, et en tenant compte de leur lipophilie qui entraîne un risque d’accumulation. La prescription sera autant que possible d’une durée brève, et planifiée dès le départ. En pratique, les molécules les plus utilisées sont le lorazépam, l’alprazolam, l’oxazépam et parfois le prazépam en gouttes, d’après Anne Myslinski.
Quant à leur déprescription, elle devra viser à un sevrage très lent (environ 10 % toutes les une à deux semaines), et en misant si nécessaire sur les alternatives comme certains extraits de plantes, la mélatonine ou la trazodone par exemple, la psychothérapie, ainsi que sur des actions dirigées vers une bonne hygiène de sommeil.
Référence :
1. www.cbip.be/fr/portfolio/troubles-du-comportement-lies-a-la-demence
Anne Myslinski : une inspiration suisse
C’est à l’occasion d’un stage en Suisse romande qu’Anne Myslinski, formée à l’UCLouvain, découvre la psychogériatrie. Au pays de Guillaume Tell, les soins de santé mentale sont répartis en départements enfants, adultes et personnes âgées. C’est dans ce dernier département qu’elle suit une formation de deux ans, dans la région valaisanne. Elle revient ensuite en Belgique et travaille au sein de l’équipe mobile psychogériatrique de la Clinique psychiatrique des Frères alexiens d’Henri-Chapelle, ainsi qu’au service de santé mentale de Malmedy dans l’équipe ISPA.
Avec les patients atteints d’affections psychogériatriques, Anne Myslinski tente d’assurer le rétablissement ou le maintien au plus haut niveau possible du potentiel physique, psychique et social du patient.
« Ce travail rejoint le nôtre où, dans notre activité médicale au sein d’une population vieillissante (que ce soit à domicile ou en institutions, dans le cadre de projets de vie), il nous faut parfois faire des choix thérapeutiques lourds pour le patient », expliquent les médecins de l’ASBL groupe médical d’Orval. « C’est la plupart du temps dans ces cas précis que notre index doit faire le choix entre start et stop. »
À noter enfin que l’UNamur et l’UMons préparent, pour 2026, un certificat interuniversitaire ‘santé mentale et vieillissement’, le premier du genre en Belgique.